Cet événement, devenu « emblématique » dans le paysage culturel guinéen, est un hommage vibrant à l’oralité africaine et à la puissance de la parole partagée. La thématique de cette édition est aussi évocatrice : « Quelque part dans l’obscurité, une braise vibre encore. Le feu sacré n’a jamais quitté le village. Il veille dans l’ombre et bientôt, il parlera à nouveau. » Portée par le conteur Petit Tonton, figure incontournable du conte guinéen, cette Grande Nuit du Conte est pour lui un engagement en faveur de la transmission, de la parole et de l’identité africaine. - Il est au micro de notre correspondant Mory Touré.
Entretien exclusif !
MT : Bonjour Petit Tonton, la Grande Nuit du Conte arrive à sa 6ᵉ édition, mais avant cette grande nuit à Conakry tu as décidé de faire une tournée appelée « La Grande Veillée de Conte ». En quoi ces activités riment-elles avec la Grande Nuit ?
PT : « La Grande Nuit du Conte est un moment exceptionnel, mais nous savons que tout le monde ne peut pas toujours y accéder faute de moyens, de transport, ou simplement parce que les places sont limitées.
C’est justement pour cela que nous avons créé les Grandes Veillées de Conte dans les quartiers : pour aller vers les populations, pour que celles et ceux qui ne peuvent pas venir à la Nuit du Conte puissent malgré tout vivre la magie des récits, là où ils sont.
Ces veillées sont en parfaite harmonie avec l’esprit de la Grande Nuit : elles réveillent l’imaginaire des enfants, elles rassemblent les familles et surtout, elles rappellent que le conte est un patrimoine vivant, qui se partage partout et avec tous.
En venant dans les quartiers, nous faisons de la Grande Nuit du Conte non pas un événement isolé, mais un mouvement populaire, un souffle qui commence bien avant le jour J et qui permet à chaque enfant, chaque parent, chaque voisin de ressentir l’essence même de notre tradition orale. »
MT : On sait que le conte fait partie de nos us et coutumes, mais concrètement, est‑ce que cette pratique culturelle ancestrale n’est pas en train de disparaître dans nos villes, à plus forte raison dans nos villages et hameaux ?
PT : « Il est vrai que le conte, pourtant au cœur de nos us et coutumes, est aujourd’hui menacé de disparition, aussi bien en ville que dans certains villages. Les changements de modes de vie ont affaibli cette pratique ancestrale. Mais justement, à la Maison de l’Oralité et du Patrimoine, notre priorité est de revaloriser le conte, qui demeure, dans la tradition africaine, une véritable école de la vie.
À travers la Grande Nuit du Conte, les Grandes Veillées et nos activités régulières, nous travaillons à préserver, transmettre et faire revivre cette pratique essentielle de notre patrimoine immatériel. Nous voulons que les enfants, les jeunes, les familles retrouvent ce patrimoine qui est le leur, qu’ils l’écoutent, le vivent et le transmettent à leur tour. »
MT : À quoi allons‑nous nous attendre à la Grande Nuit du Conte cette année, bien que quelques noms aient déjà été cités, comme KPG du Burkina, Kady Diop du Sénégal, etc. ?
PT : « Cette année, la Grande Nuit du Conte présentera un spectacle de conte inédit, porté par moi‑même et par deux grandes voix de la musique guinéenne, Sira Condé et Kady Diop. Le tout sera soutenu par de grands musiciens et une mise en scène animée par des danseurs, pour offrir une expérience artistique complète. Comme le veut la tradition, nous accueillerons également des conteurs invités, car la parole est plus belle lorsqu’elle est partagée.
Seront présents KPG du Burkina Faso et Rebecca Compaoré, venue de Côte d’Ivoire, qui viendront enrichir cette 6ᵉ édition de leur univers et de leur énergie. Une soirée exceptionnelle se prépare. »

La Grande Nuit du Conte - Visuel officiel
MT : Que devons‑nous faire pour que le conte puisse continuer à jouer ce rôle d’éducation et de moralisation de la société africaine ?
PT : « Pour que le conte puisse continuer à jouer son rôle d’éducation et de moralisation au sein de nos sociétés africaines, nous devons agir à plusieurs niveaux. D’abord, il faut redonner au conte sa place dans la vie quotidienne. Le conte n’était pas seulement un divertissement : c’était un véritable outil de transmission des valeurs, de sagesse et de repères sociaux. Il faut donc créer des espaces, dans nos quartiers, nos écoles et nos familles, où la parole peut de nouveau circuler.
Ensuite, il est essentiel de former une nouvelle génération de conteurs, capables de porter cette tradition et de l’adapter à notre époque. Le monde change, mais la parole reste un pilier : il suffit de lui offrir les bons relais. Nous devons aussi documenter, préserver et valoriser ce patrimoine. Si nous ne collectons pas les récits, si nous ne les transmettons pas, ils risquent de se perdre. C’est précisément la mission de la Maison de l’Oralité et du Patrimoine : sauvegarder ces histoires et les partager.
Enfin, il faut intégrer le conte dans les politiques culturelles et éducatives, car c’est un outil puissant de formation citoyenne, morale et identitaire. Une société qui raconte ses histoires est une société qui se construit. En somme, le conte continuera à jouer son rôle si nous prenons la responsabilité de l’écouter, de le transmettre et de le faire vivre au cœur de nos communautés.
MT : Quel message lancerais‑tu aujourd’hui, avant cette Grande Nuit du Conte, à ton public, à la Guinée et à l’Afrique ?
PT : « Aujourd’hui, à la veille de cette Grande Nuit du Conte, j’aimerais dire : n’oublions pas qui nous sommes.
Le conte, ce n’est pas seulement un spectacle. C’est notre mémoire, notre pédagogie, notre manière de transmettre la sagesse, le respect, la paix et l’humanité. C’est ce qui relie nos enfants à leurs ancêtres, et nos communautés à leurs valeurs profondes.
À mon public, je dis : merci. Merci de continuer à tendre l’oreille, à ouvrir les cœurs, à croire que les mots peuvent guérir, éveiller et transformer. À la Guinée, je dis : prenons soin de notre patrimoine immatériel. Il est l’un de nos plus grands trésors. Quand un conte disparaît, c’est une lumière qui s’éteint dans la maison. Et à l’Afrique tout entière, je lance ce message : racontez, encore et encore.
Racontez pour que nos enfants sachent d’où ils viennent. Racontez pour que nos valeurs survivent au bruit du monde. Racontez pour que notre conscience collective reste vivante. La parole est un feu. Et tant que nous la partageons, elle ne s’éteindra jamais."
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