Qui doit quoi à qui ? Un litige financier oppose actuellement la Fédération des Associations Guinéennes des Hauts-de-France (FAG-HDF), la Coordination des Associations Guinéennes de France (CAGF) et son « président », Daouda Conté. La ligne de fracture révèle un conflit complexe. Elle titube entre suspicions de mauvaise gestion financière, contestations juridiques et bataille de légitimité interne. Cette dissension fait état de « virements douteux », de violation des règles, ainsi que de mises en demeure croisées. Chacune des parties avance ses arguments, ses chiffres et son interprétation du droit associatif. SITANEWS vous plonge prudemment au cœur de ce dossier (très, très) « sensible ».
Contexte de la crise
Les documents montrent qu’un signalement, daté du 12 septembre 2025, a alerté la CAGF sur des transactions jugées « douteuses » et des virements récurrents du compte de la CAGF vers celui de la fédération régionale (FAG-HDF). Ce signalement a déclenché, au sein de la CAGF, une réaction institutionnelle rapide combinant sécurisation de la trésorerie et ouverture d’une enquête interne.
Parallèlement, la situation s’inscrit dans un contexte plus large de tensions internes autour de la gouvernance, de la transparence financière et de la continuité des pratiques de gestion depuis plusieurs années. L’enjeu dépasse la seule question comptable, puisqu’il touche aussi à la crédibilité des organes dirigeants et à la confiance des associations membres.
La commission d’enquête interne de la CAGF
Face à l’alerte, le Conseil d’administration de la CAGF s’est réuni le 28 septembre 2025 et a décidé à l’unanimité la mise en place d’une commission d’enquête interne indépendante.
Cette commission avait pour mandat d’examiner les pièces justificatives, de reconstituer la chronologie des flux, de vérifier la conformité aux statuts et conventions, d’identifier les « manquements » et de formuler des recommandations.
Composée d’anciens présidents et d’un ancien secrétaire général (Thierno Camara, Abdoulaye Bah et Abdoulaye Yacine Sow), la commission s’est penchée sur la période de janvier à août 2025. Elle conclut à « l’existence de mouvements financiers non justifiés entre la CAGF, la FAG-HDF et des comptes individuels pour un total de 66 mille 788,92 €, dont 51 875 € seraient non justifiés », tout en soulignant l’absence de justificatifs tangibles permettant une traçabilité fiable. [Document de référence : procès-verbal du CA]
Les constats financiers et les responsabilités pointées
Le rapport présenté au Conseil d’administration de la CAGF retient plusieurs éléments jugés « préoccupants » en matière de gouvernance financière. Parmi eux figurent une gestion qualifiée « d’unilatérale » par le président Daouda Conté, l’absence de validation collégiale, le défaut de contrôle du bureau et du Conseil d’administration, ainsi qu’un risque majeur de mauvaise gestion ou de « détournement partiel d’objectifs ».
La commission met en cause la responsabilité directe de l’ancien président, Daouda Conté, dans les transactions identifiées, tout en évoquant une responsabilité « sans faute » de la trésorière, Mme Fatoumata Binta Camara, du fait de son rôle dans la chaîne comptable.
La commission signale aussi le cas d’une société, « Double Face Agency SARLU », dont l’immatriculation postérieure à l’alerte (18 septembre 2025) alimente, selon elle, des « soupçons de création tardive à des fins de justification ex post des opérations bancaires ».
Les décisions du Conseil d’administration de la CAGF
À l’issue de la présentation du rapport, le Conseil d’administration de la CAGF adopte plusieurs résolutions lors de la réunion extraordinaire du 23 novembre 2025.
La première décision consiste en la suspension préventive du président, Daouda Conté, et de la trésorière, Fatoumata Binta Camara, jusqu’à l’assemblée générale prévue le 24 janvier 2026.
Dans la foulée, le CA désigne Alpha Saliou Bah, vice-président, pour assurer l’intérim de la présidence, et confie à Abdoulaye Yacine Sow la fonction de trésorier intérimaire, assisté de Moussa Micky en qualité de trésorier adjoint.
Le mandat de la commission d’enquête est prolongé jusqu’à l’AG de janvier 2026, et un nouveau Conseil d’administration ordinaire est convoqué pour suivre l’avancement des recommandations.
La mise en demeure de la CAGF à l’égard de la FAG-HDF
Sur la base du rapport adopté, la CAGF adresse, le 9 décembre 2025, une mise en demeure à la FAG-HDF, lui réclamant la restitution de 45 525,71 €. La lettre rappelle que la commission d’enquête a mis en évidence des fonds appartenant à la CAGF transférés puis conservés par la FAG-HDF « sans justification comptable, administrative ou contractuelle valable ».
Juridiquement, la CAGF fonde sa demande sur les articles 1302 à 1302-3 du Code civil relatifs à la restitution de l’indu, l’article 1352 sur les conditions de restitution et l’article 1240 sur la responsabilité en cas de préjudice causé à autrui.
La CAGF fixe un délai de sept jours calendaires à la fédération (FAG-HDF) pour restituer la somme, en avertissant qu’à défaut, des procédures judiciaires civiles et pénales pourraient être engagées afin d’obtenir restitution, réparation des préjudices et détermination des responsabilités.
La riposte juridique de la FAG-HDF
Dans une lettre datée du 23 décembre 2025, la FAG-HDF répond à la mise en demeure de la CAGF en contestant « intégralement » le bien-fondé de la demande de restitution de 45 525,71 €. La fédération commence par nier l’existence d’une saisine régulière de la CAGF, affirmant qu’aucun courrier d’alerte n’a été émis, validé ou autorisé par ses organes compétents, et qu’aucune délibération ne l’a habilitée à saisir officiellement la Coordination.
S’appuyant sur la jurisprudence relative aux actes accomplis sans pouvoir, la FAG-HDF considère que le courrier du 12 septembre 2025, attribué à un ancien président en conflit interne avec l’ancien trésorier, n’engage pas la personne morale et relève d’une initiative strictement personnelle. Elle insiste sur le fait qu’au moment de l’envoi du courrier, le mandat du signataire était expiré et qu’il ne disposait d’aucune habilitation légale ou tacite pour représenter l’association.
L’argument de l’absence de mandat et des fautes personnelles
La FAG-HDF développe ensuite l’idée d’une « faute détachable » commise par l’ancien président, auteur du courrier d’alerte, distinguant sa responsabilité personnelle de celle de la fédération.
En se référant à la jurisprudence sur les fautes commises en dehors du mandat ou sans habilitation, elle affirme que de tels actes n’engagent pas la personne morale mais uniquement leur auteur, notamment lorsque celui-ci agit dans un intérêt distinct de celui de l’association.
L’utilisation non autorisée du nom et de la qualité de la fédération est qualifiée d’« usurpation de représentation » génératrice d’un préjudice moral et institutionnel pour la FAG-HDF. Sur cette base, la fédération envisage elle-même la possibilité d’actions fondées sur la responsabilité délictuelle, en invoquant l’article 1240 du Code civil pour faire sanctionner l’usage abusif de sa dénomination.
Le bureau actuel de la FAG-HDF et la question de la continuité
La lettre de la FAG-HDF insiste aussi sur la position du bureau actuellement en fonction, qui affirme avoir pris ses responsabilités après les faits allégués, sans passation comptable ni information détaillée sur les opérations antérieures. La fédération rappelle une ligne jurisprudentielle selon laquelle un nouveau bureau associatif ne peut être tenu responsable des fautes de gestion de ses prédécesseurs sans ratification expresse des actes en question.
Aucune ratification n’ayant été décidée, la FAG-HDF estime que la responsabilité associative globale ne peut lui être imputée pour des opérations dont le contexte, les décisions et les justificatifs sont rattachés à une équipe précédente. Elle adopte dès lors une position qualifiée de « ferme et définitive », rejetant toute obligation de restitution et mettant en garde la CAGF contre toute action judiciaire jugée abusive.
La mise en demeure personnelle adressée à Daouda Conté
Le même jour (9 décembre 2025), la CAGF adresse une seconde mise en demeure, cette fois à titre individuel, à son « président » Daouda Conté pour un montant de 51 000 €. Ce courrier évoque des « irrégularités significatives » dans la gestion des fonds placés sous sa responsabilité, mises au jour par l’audit interne.
Le courrier mentionne également un déficit pour lequel aucune justification jugée probante et conforme aux exigences de transparence n’aurait été fournie.
La CAGF y invoque des manquements graves aux obligations de gestion, de loyauté, de probité et de reddition des comptes attachées à la fonction de président.
Elle accorde également un délai de sept jours pour procéder au remboursement intégral des 51 000 €, sous peine de saisine des autorités judiciaires compétentes, tant civiles que pénales, pour restitution des fonds et réparation des préjudices.
La contestation de Daouda Conté face à la CAGF
De son côté, Daouda Conté, en qualité d’administrateur et « ancien président », répond, ce 24 décembre 2025, à la mise en demeure personnelle de la CAGF, qu’il conteste sur le fond et sur la forme. Il récuse « formellement » l’imputabilité individuelle des 51 000 € et annonce vouloir soulever la nullité de la procédure d’audit interne, qu’il juge viciée.
Son argumentation s’articule autour de plusieurs axes, en commençant par la notion de collégialité et la continuité des pratiques, avec référence à un procès-verbal du 28 septembre 2025 où les dysfonctionnements de gestion auraient été « assumés collectivement » par le bureau. Selon lui, les mouvements financiers s’inscrivent dans une continuité d’usages institutionnels hérités depuis 2019, connus et validés par les instances, ce qui exclurait une faute personnelle détachable de ses fonctions.
Daouda Conté critique la procédure d’audit interne
Dans sa ligne de défense, Daouda Conté met en cause la commission d’enquête pour vice de procédure et partialité. Il estime qu’une mesure d’instruction interne doit respecter la loyauté, l’impartialité et le contradictoire. Il reproche à la commission un « excès de pouvoir » en se transformant, selon lui, en instance de jugement formulant des conclusions de culpabilité sans base légale, au-delà d’un simple travail technique.
Il évoque également un conflit d’intérêts lié à la composition de la commission, en parlant de liens d’interdépendance hiérarchique hors CAGF, ainsi que la suppression alléguée de messages de coordination lors de la restitution du rapport. S’y ajoute la dénonciation d’une « violation flagrante du principe du contradictoire », puisqu’il affirme ne pas avoir eu accès préalablement aux conclusions ni aux pièces à charge, et avoir été soumis à un interrogatoire de près de deux heures sans préparation, ce qu’il assimile à un « tribunal d’exception ».
Requêtes pour transparence et sortie de crise
Dans sa réponse, Daouda Conté propose des pistes de sortie de crise qu’il présente comme tournées vers « l’intérêt supérieur de la CAGF ». Il évoque notamment l’idée d’une démission collective du bureau et du Conseil d’administration afin de permettre une transition neutre jusqu’à l’assemblée générale du 24 janvier 2026.
Il demande aussi le lancement immédiat d’un audit externe indépendant, confié à un cabinet professionnel, couvrant l’ensemble de la période 2019–2025, estimant qu’une expertise tierce est la seule garantie d’une analyse impartiale. Il affirme ne reconnaître ni abus de confiance ni enrichissement personnel et indique qu’un contre-rapport, en cours de finalisation, viendra, selon lui, « démontrer la réalité et la destination des flux contestés ».
Escalade judiciaire potentielle et réserves des parties
Autant la CAGF que la FAG-HDF et Daouda Conté se réservent explicitement la possibilité de recours judiciaires, ce qui traduit un risque d’escalade contentieuse.
La CAGF envisage de saisir les juridictions civiles et pénales pour obtenir restitution forcée des fonds, réparation des préjudices financiers et institutionnels et détermination des responsabilités individuelles ou organisationnelles.
La FAG-HDF se réserve, pour sa part, le droit d’engager toute action utile, notamment pour dénoncer ce qu’elle pourrait qualifier de procédure abusive ou pour obtenir réparation du préjudice moral lié à l’usage contesté de sa dénomination.
Daouda Conté, de son côté, menace de saisir la justice pour dénonciation calomnieuse et pour demander réparation du préjudice moral qu’il estime subir du fait de la procédure engagée contre lui.
Affaire à suivre…
Par Sita CAMARA
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