Photo : © Teona Goreci
26 November, 2025

Du sable chaud aux rythmes tropicaux : l’odyssée de Sahravane

 

Sahravane, une évasion musicale inédite des Caraïbes au désert algérien, réunit le pianiste afrocubain Omar Sosa et Lemma, des femmes percussionnistes d’Algérie.


Reportage de Rita Stirn pour Sitanews

Temps de lecture : 8 minutes

 

Concert de clôture du Festival Jazzdor et célébration de sa 40 édition, ce vendredi 21 novembre 2025. Salle comble pour la découverte sur scène de Sahravane avec le célèbre pianiste Omar Sosa et Souad Asla, accompagnée de son groupe de femmes algériennes, Lemma, au chant et à la percussion.

«Lemma signifie réunion, assemblée», explique Souad Asla, fondatrice du groupe Lemma, composé de femmes originaires du «pays chantant» de la Saoura, ancien lieu de passage des caravanes, dont Béchar et Kenadsa sont les villes principales. Souad Asla, native de cette région, y est revenue pour sauvegarder une tradition musicale saharienne au féminin.

 

Réunir onze femmes autodidactes, les faire s’absenter de leur foyer pour partir en tournée en Algérie et au-delà des frontières, relève de l’exploit. Mais créer ce groupe de femmes percussionnistes fut également une libération pour Souad Asla elle-même, sa famille étant hostile, au départ, à l’idée d’une carrière musicale. Le succès de Lemma a donné visibilité et légitimité professionnelles à toutes ces femmes, heureuses de s’exprimer sur scène, de jouer d’un instrument et de transmettre un matrimoine authentique.

 

Le concert programmé au Festival Jazzdor, présenté par son nouveau directeur musical, Vincent Bessières, débute a cappella avec les voix des chanteuses de Lemma, qui marquent le rythme en tapant dans les mains. Souad Asla, Aziza Tahri, Mebrouka Brik, Rabia Boughazi et Sabrina Cheddad interprètent des chants de la Saoura en s’accompagnant d’instruments de percussion traditionnels comme le bendir, la darbouka et la tarija.

 

Le répertoire est composé des styles régionaux Al Farda et Zaffani, mais aussi du malhoun de l’héritage andalou, de la hadra — une musique de transe chantée par des femmes — et des chants gnawa du patrimoine africain, rythmés par les instruments propres à cette musique: le guembri, le tbel et les karkabu.

 

C’est précisément la musique gnawa qui constitue un des points de rencontre entre Lemma et Omar Sosa, initié à cette musique depuis 1996, pour l’avoir étudiée sur place au Maroc, où il a assisté à une lila (cérémonie gnawa, la nuit) qui lui rappelle la santeria de Cuba et le culte vaudou. «Quand j’ai vu la façon de jouer d’Omar Sosa, raconte Souad Asla, je lui ai parlé des femmes percussionnistes de ma région.» Omar Sosa s’est intéressé au projet Sahravane en 2023, lors d’un concert des Sahariennes avec Souad Asla. «J’avais peur que la fusion ne se fasse pas entre Lemma et ses musiciennes autodidactes et le grand pianiste des Caraïbes, Omar Sosa. Mais dès notre première rencontre, nous avons vu la puissance de l’humain, d’un langage musical sans frontières», se rappelle avec émotion Souad Asla. Une tournée d’un an a suivi la résidence accordée à Sahravane à l’Opéra de Lyon. La caravane d’Omar et Lemma était lancée pour faire étape à Strasbourg en novembre.

 

Omar Sosa choisit le trio pour être sur scène avec Lemma. Accompagné du guitariste hongrois Csaba Palotaï et du percussionniste vénézuélien Gustavo Ovalles, Omar Sosa s’installe au piano et aux claviers. Par son jeu percussif, il donne l’impression de jouer à quatre mains! Lors de l’interprétation d’un des morceaux, Souad Asla s’approche du piano, Omar Sosa se lève et le duo exécute une danse en toute complicité. Le dialogue musical se poursuit. Souad Asla explique au public sa motivation à transmettre un patrimoine en voie de disparition et remercie toutes ces musiciennes courageuses qui ont répondu à son appel pour donner une voix aux femmes. Elle enchaîne avec le titre Guli, dédié à toutes les femmes qui souffrent en silence.

À la rythmique de Lemma répond le jeu tonique au piano d’Omar Sosa avec ses sonorités caribéennes et les percussions aquatiques de Gustavo Ovalles: un moment de fusion, vivement acclamé par le public.

 

Vidéo utile >> https://urls.fr/CyS-jv

 

Assister à un concert d’Omar Sosa et de Lemma est aussi une expérience visuelle riche en couleurs et en mouvements. Omar Sosa est vêtu d’une tunique blanche brodée de motifs rouge vif, assortie à la couleur cramoisie de ses chaussures. C’est un pianiste expressif, avec un rapport très physique à son instrument. Il explique avoir commencé par étudier la percussion cubaine classique avant de se tourner vers le piano, un instrument qui fait désormais partie de son quotidien: «J’ai besoin d’en sentir les vibrations», dit-il. 

 

Quant au groupe Lemma, les femmes sont parées de robes et de coiffes aux dorures scintillantes. La chanteuse Souad Asla évolue dans une tenue de scène faite de pans de tissus blancs et fuchsia, qui virevoltent lorsqu’elle danse et tourne avec grâce, comme un derviche. À un moment donné, elle interprète une danse dans laquelle elle se couvre la tête et le visage d’un tissu noir brodé; elle se met à genoux pour rappeler la danse traditionnelle des femmes nomades du Sahara, appelée la guedra, au cours de laquelle elles dévoilent progressivement leur visage.

 

Selon Omar Sosa, Lemma l’emmène «vers des contrées musicales qu’il n’a jamais visitées. Je n’ai pas besoin de les comprendre, les ressentir me suffit.» La fusion avec Lemma repose sur une transmission d’énergies réciproques. La présence scénique captivante d’Omar Sosa et de Souad Asla a été un enchantement pour le public du festival Jazzdor, qui leur a accordé une standing ovation et trois rappels.

 

Une rencontre avec Omar Sosa, l’artiste, reste également mémorable par sa réflexion sur le sens de la vie et de l’expression artistique. Il évoque avec conviction la nécessité pour les humains de retrouver un équilibre avec la nature, de ne pas être esclaves de l’argent, ni de la technologie ou du clonage. Sa devise est «memento mori». Selon lui, la création artistique est une transmission du cerveau à l’âme des humains. Ainsi, un artiste est nécessairement ouvert à la rencontre et au partage pour créer une musique authentique et universelle. Un album solo est en voie de publication pour l’année prochaine: nous avons hâte de le découvrir!

 

Liens à consulter:

>Sahravane, Omar Sosa and Souad Asla en répétition à Clichy-sous-Bois, 2024

>Concert du festival AfrocolorsSahravane – Souad Asla, Omar Sosa à l’Opéra de Lyon, Tour’N’Sol Production

>Album Lemma – Musique du monde, avec la regrettée Hasna Bécharia au guembri et au chant.

 

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